• Conseillé par (Libraire)
    15 octobre 2020

    Quelle drôle d’idée, cher ami, que d’être ainsi parti à un âge tendre il y a de nombreuses années de cela mais quel pied de nez facétieux de fêter, quoique que ce mot soit bien fadasse, le centenaire de votre naissance en une année où la seule fièvre est co(v)hideuse alors que la vôtre se répercutait, contagieuse insouciance, dans les clubs de jazz, dans les repas d’amitiés, dans les colonnes des journaux, sur les ondes des radios. Alors ce centenaire était prêt sur les tables de nos librairies. Alors les portes se sont fermées par décision administrative. Alors cet anniversaire de naissance s’est célébré dans la solitude d’un fauteuil, un air de trompette en fond et une verve à nul autre pareil en lecture. 500 lettres, cher Boris, ogre d’écriture, choisies par Nicole Bertolt, qui se lisent en piochant ci et là. 500 lettres et des illustrations qui dessinent de vous ce portrait que j’aime tant : un homme curieux de tout, critique aiguisé, amateur d’arts et aimant, tendre et facétieux. Quand les lettres à votre chère « Pouche », votre môman, se referment c’est toute la tendresse qui s’exprime. Bison Ravi, anagramme de Boris Vian, un de vos environ trente pseudonymes connus, faisait de ces courriers un espace de liberté : jeux de mots, inventions de langues, illustrations, mots en marge. Les premières lettres sont d’enfance, datant de 1932, et laissent déjà apparaitre un goût très sûr pour l’absurde, une propension forte à s’amuser des mots, à les malaxer, à les malmener et une envie forte de leurs faire prendre des raccourcis afin d’être direct, percutant et dérangeant. Classé par thème, « Boris à Pouche », « Boris à Michelle », « Les amis… » et par date, ces « Correspondances 1932 – 1959 » sont le fruit d’un beau travail et le récit d’une époque. Bonheurs de croiser Raymond Queneau, Simone de Beauvoir. Bonheurs de ces écrits familiaux. De ces lettres écrites sur du papier à musique « pour avoir plus de portée ». Cette découverte de textes inédits, de poèmes farfelus. De ces lettres, cher Boris, ressort une mélancolie, celle de se savoir condamné par une santé fragile. Alors être partout. Vite. Heureusement, cher Boris, que vos amis sont présents et s’emparent de textes inachevés. Ainsi, six membres de l’Oulipo, OUvroir de LIttérature POtentielle, poursuivent vos quatre chapitres de « On n’y échappe pas », polar sullivanesque. Les éditions 1001 nuits proposent un petit recueil de vos facéties, aphorismes, pensées : « Ça m’apprendra à dire des conneries ». Regards éclairés sur une époque, en quelques mots assassins, en quelques lignes bien senties contre la bêtise, celle de la guerre comme celle des discriminations faites aux femmes. Boris, vous aviez l’art d’utiliser la légèreté afin de mieux exprimer de lourdes et pertinentes pensées. Au livre de poche, enfin, « Spectacles, chansons, comédies musicales » pour compléter nos lectures. Indispensable que de se plonger dans ce recueil pour jouir de votre liberté de ton qui fait désormais cruellement défaut. Alors cher Boris, permettez cette lettre, car « les articles de fond ne remontent jamais à la surface », pour vous souhaiter un bel anniversaire où votre esprit viendrait, en douce, souffler les bougies d’un centenaire qui se porte bien jeune.