Les sociologies de l'individu, sociologies contemporaines
EAN13
9782200355265
ISBN
978-2-200-35526-5
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
Cursus
Dimensions
18 x 13 cm
Poids
134 g
Langue
français
Code dewey
302.5
Fiches UNIMARC
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Les sociologies de l'individu

sociologies contemporaines

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Armand Colin

Cursus

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1

Vers une sociologie de l'individu

1. La modernité et l'individu

Il était une fois la sociologie... Il existe plusieurs manières de raconter l'histoire de la sociologie. Les uns cherchent le plus loin possible pour être certains de ne pas omettre un précurseur. Ils confondent une réflexion sur la société avec une discipline revendiquée explicitement. Les autres font remonter l'origine de la discipline à la fin du XIXe siècle lorsqu'un certain nombre de savants tentent de relever un défi. La sociologie naît pour répondre à une inquiétude, suscitée par la Révolution française et ses conséquences. Tout le long du XIXe siècle, des conservateurs – en sociologie, notamment avec Frédéric Le Play – veulent rétablir la société d'ancien régime au sein de laquelle dominaient les idées de hiérarchie, de tradition, d'autorité, de communauté. Ils craignent que la philosophie des Lumières, que la liberté plus grande laissée aux individus, engendre le chaos et le désordre. Face à cette réaction, des hommes progressistes vont relever en quelque sorte le défi et démontrer qu'une société de nouveau régime est possible. À certaines conditions. C'est sur la définition de ce « à certaines conditions » que des sociologues progressistes se centrent. Ils le font dans une certaine tension dans la mesure où à la fois ils adhèrent aux présupposés de l'individualisme et rêvent de le circonscrire. Dans La Tradition sociologique, Robert Nisbet souligne ce paradoxe des débuts de la sociologie :

« Bien qu'elle se rattache, de par ses objectifs et de par les valeurs politiques auxquelles elle se réfère, au courant moderniste, ses concepts essentiels et ses présupposés la rendent beaucoup plus proche, de façon générale, du conservatisme philosophique » (p. 32).

1.1 L'individualisme « abstrait » de Durkheim

En schématisant le « il était une fois la sociologie » est concomitant de « il était une fois un individu ». Enseigner, comme trop souvent, qu'Émile Durkheim est « holiste » et qu'il s'oppose à l'individualisme est une erreur historique. En effet, ouvrons un numéro de la Revue Bleue de 1898 qui publie un texte de Durkheim sur « L'individualisme et les intellectuels ». Nous sommes dans les suites de l'affaire Dreyfus. Durkheim prend position pour ceux qui défendent le capitaine parce qu'ils « mettent leur raison au-dessus de l'autorité ». S'ils le font « c'est que les droits de l'individu leur paraissent imprescriptibles. C'est donc leur individualisme qui a déterminé leur schisme ». Durkheim soutient l'individualisme, tout au moins un certain individualisme. Il souligne que c'est « devenu la base de notre catéchisme moral ». Il n'utilise pas ce mot par hasard car il affirme que l'individualisme est une religion, « une religion dont l'homme est, à la fois, le fidèle et le Dieu ». Cette affirmation rompt avec une idée commune selon laquelle l'individu s'opposerait à la société : « la religion de l'individu est d'institution sociale, comme toutes les religions connues. C'est la société qui nous assigne cet idéal ». En conséquence, une sociologie de l'individu ne se confond pas avec une microsociologie. La place accordée à l'individu résulte des normes sociales et des lois, et elle traduit un changement global de la société.

Toujours dans cet article, Durkheim distingue deux individualismes. Pour lui, l'individualisme négatif (il n'utilise pas cette catégorie, préférant le terme « égoïsme »), c'est celui qui rend hommage à l'individu en particulier alors que l'individualisme positif, c'est celui qui respecte en chacun un représentant de l'humanité et de la raison. Si l'individu a « droit à ce respect religieux, c'est qu'il a en lui quelque chose de l'humanité ». « Le culte dont il est à la fois l'objet et l'agent ne s'adresse pas à l'être particulier qu'il est et qui porte son nom, mais à la personne humaine ». Pour Durkheim,

« l'individualisme ainsi entendu, c'est la glorification, non du moi, mais de l'individu en général. Il a pour ressort non l'égoïsme, mais la sympathie pour tout ce qui est homme, une pitié pour toutes les misères humaines, un plus ardent besoin de les combattre et de les adoucir, une plus grande soif de justice ».

L'individualisme positif selon Durkheim peut être nommé « abstrait » :

« Je ne suis certain de bien agir que si les motifs qui déterminent tiennent, non aux circonstances particulières dans lesquelles je suis placé, mais à ma qualité d'homme in abstracto ».

Pour Durkheim, les sociétés modernes conservent, devraient conserver une autorité supérieure, non plus celle des dieux ni des rois, mais celle de la Raison qui est commune à tous. Même dans une société individualiste, doit dominer l'intérêt général, ce qui n'est pas toujours le cas. Il peut y avoir excès de l'individu « particulier », de l'homme qui au lieu d'obéir à la raison, se soumet à ses propres besoins illimités. Or l'individu idéal doit être tenu par la société qui lui propose des institutions afin de le contenir et de lui éviter ses dérives égoïstes. C'est la thèse que Durkheim défend dans Le Suicide (1897) en montrant les méfaits, pour les individus eux-mêmes, d'une absence ou d'une trop faible contrainte sociale.
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