Saisisseur d'instants

Jour 19 - dimanche 05 avril - 18 h 30

Saisisseur d’instants

Connaissez-vous le répertoire des métiers imaginaires ? Il s’agit d’un livre magnifique paru aux Éditions du Sandre qui recense des métiers qui n’existent pas : marchand d’ombres, jardinier d’oiseaux, xylophoniste des seins, fabricant de nuages…et qui décrit précisément avec une poésie infinie toutes ces professions sorties de l’imaginaire pur. Il en est un qui pourrait figurer dans ce pittoresque inventaire, celui de saisisseur d’instants. Sauf que celui-ci, bien qu’immensément poétique, n’est pas imaginaire. Nous avons même le privilège d’en connaître un, un saisisseur d’instants.

Comme Jean-Baptiste le rappelait hier, toutes les belles et grandes manifestations auxquelles le Carnet devait participer ont été annulées. Annulé également tout ce que nous avions prévu d’organiser au magasin : concert de musique baroque par Cècile Petit au chant et Michel Abd-El-Kader à la contrebasse, dédicace de Zebda, autrice de bande dessinées, pour la fête de la librairie indépendante, et puis une expo-photo qui nous tenait particulièrement à cœur, celle du fameux saisisseur d’instants, Guy Plotton. Prévue dans le cadre du Printemps de la photo de Mably, manifestation organisée par la ville de Mably et le club photo amateurs Phot'Objectif Mably, les photos de Guy Plotton devaient ensoleiller, parer la librairie pendant un mois et demi.

Je l’ai rencontré plusieurs fois ce voleur d’images pour choisir les clichés et mettre au point l’habillage des murs. Nous avions opté pour le thème « photos de rues » et retenu un titre évocateur « De ci, de là… ». En effet, quel plus bel hommage rendre aux livres, aux mots que de leur offrir des images, des visages, des regards, du mouvement, en couleur ou noir et blanc ? Et quelles images ! Regard noir, droit, perçant, empreint de dignité d’un indien enturbanné ; beauté naturelle, regard profond ou yeux rieurs d’indiennes nonchalamment assises sur des marches d’escalier ; couleurs chaudes et chatoyantes des façades, des rues et des autos cubaines qui forment un contraste saisissant avec les clichés pris dans les rues de New-York ou de Londres. Toutes ces vies anonymes, ces instants si brefs mais qui portent en eux tellement d’histoires différentes, ces mouvements de foule, ces sorties de travail, ces pas alertes et décidés, ou au contraire flâneurs et indolents, ces regards approbateurs, préoccupés, surpris, ces trajectoires si opposées, ces corps parfois si inconscients d’être l’objet de nos regards. Et puis cette photo hallucinante d’une avenue new-yorkaise, véritable fourmilière, au milieu de laquelle, de façon surréaliste, un vieillard en pyjama et pantoufles traverse tranquillement, sans plus se soucier des véhicules comme s’il avait le pouvoir, par sa simple lenteur, d’arrêter, le temps d’une seconde, ce mouvement perpétuel.

Nous avions ensemble discuté des détails de cette exposition, vous m’aviez expliqué vos photos, vos techniques, explications que vous alliez partager lors d’une rencontre/vernissage qui devait avoir lieu fin mars. Nous avions également prévu une table thématique regroupant des ouvrages sur la photographie et des romans évoquant ou s’appuyant sur cette discipline qui fait partie du 8ème art au côté de la télévision et de la radio mais qui pourrait largement être un art à part entière.

Nous avions retenu, avec la collaboration d’Anaïs, pour n'en citer que quelques uns, Jean-Philippe Charbonnier : Raconter l'autre et l'ailleurs aux éditions Hazan, Henri Cartier-Bresson : Chine aux éditions Delpire Éditeur et les ouvrages magnifiques de Julie de Waroquier, photographe mise à l’honneur cette année par le printemps de la photo, notamment Clichés de femmes et Rêvalités.

Et puis une sélection d'une dizaine de romans dont le superbe « Une femme en contre-jour « de Gaëlle Josse aux Éditions Noir sur Blanc relatant l’itinéraire très singulier de Vivian Maier, 1926-2009, nourrice-photographe, complètement inconnue de son vivant. Gaëlle Josse, avec ses mots qui sculptent les visages et les vies, rend un hommage délicat à cette femme morte dans l’anonymat et le dénuement. Elle révèle une femme énigmatique, ambivalente, terriblement indépendante, qui engrangea des milliers de clichés pris dans les rues de Chicago découverts après sa mort. Elle met en lumière une existence tout entière vouée à la photo, photos des autres, gueules de misère ou mines pincées de bourgeois, prises sur le vif, où l’on ressent encore le souffle et le mouvement , l’angoisse, la surprise, le tourment qui habitaient les « modèles » quand l’artiste a actionné le déclencheur et saisi la vie même. Pas une passion, un sixième sens, un prolongement d’elle-même. Vivian Maier qui a également inspiré Gaëlle Nohant pour le très récent "La femme révélée" paru aux
Editions Grasset et Fasquelle qui fait également partie de notre sélection.

Alors, au nom de toute l’équipe du Carnet, un grand merci Guy (je me permets de vous appeler Guy) de nous faire profiter de votre belle et noble passion. Oui vous êtes assurément et sans conteste un saisisseur d’instants et promis, dès que la librairie rouvrira ses portes, elle vous offrira ses murs.

Plus de photos sur :
https://gplottonphoto.wixsite.com/instantanes