Retour sur terre

Jour 16 - jeudi 02 avril - 20h40

Retour sur terre

L’image contient peut-être : ciel et plein air

Avez-vous remarqué comme bien souvent les noms donnés aux rues des villes et villages sont souvent étonnants, un peu comme les jeux de mots des salons de coiffure. Combien la France compte-elle « d’Impasses du Bonheur ou de l’Avenir », de cul-de-sac insolites qui ne sont rien d’autres que des voies sans issue, combien de rues se nomment joliment « des Bleuets, des Lilas, des Jonquilles » alors que la nature est réduite à peu, à un maigre îlot de verdure, à une pauvre haie sans oiseaux mais avec des jeux de grattage et des emballages sur ses bas-côtés. A quand les rues (ou les boulevards) La Française des Jeux (FDJ pour les intimes avec comme inscription sur sa plaque : drogue conduisant à la pauvreté) ou une rue, street en anglais, Ronald Mc Donald (sur sa plaque : le chantre de la malbouffe partout dans le monde), à côté de la Place José Bové. Et encore nous ne parlons pas des Rond-point quoique le Rond-point de l’Europe me fasse bien marrer.

Combien de rues sont de Cerfs, d’Elans (j’ai vécu dans un square de l’Elan), du Lièvre (j’ai aussi vécu…) alors que les seuls animaux à s’aventurer là sont domestiqués, parfois ridicules avec le petit imperméable écossais rouge pour ne pas se mouiller les poils-poils alors que le bonheur du chien est de se rouler dans la merde et de sentir le c.. de sa canidée de voisine (oups un peu de décence). Avec un peu de bol la seule bestiole non domestiquée à s’y promener est le rat… et j’ai du mal à vous voir avec un rat sur les genoux pour regarder Thalassa.

Mais par-dessus tout j’aime les zones anonymes, industrielles ou commerciales qui rivalisent « d’originalité » pour donner à ces lieux de bitume, ces quadrillages de routes, ces assemblages de boites à chaussures (entrepôts en langage soutenu) un semblant de poésie, d’authenticité, un élan littéraire ou politique, une sorte de rachat de ce vide créé en appelant à la rescousse les grands de ce monde.

J’ai, demain, rendez-vous pour la drogue (mais cela reste entre nous) sur un parking de la Rue Vasco de Gama, dans une ZAC. Imaginez (instant Wikipédia) « ce grand explorateur portugais Vasco da Gama (en portugais), communément francisé en Vasco de Gama, supposé né en 1469 à Sines au Portugal et mort le 24 décembre 1524 à Cochin aux Indes, est un grand navigateur portugais, traditionnellement considéré comme le premier Européen à arriver aux Indes par voie maritime en contournant le cap de Bonne-Espérance, en 1498 », imaginez le maintenant, son bonheur, lui qui a franchi d’innombrables dangers, lui qui découvert ces si fascinantes Indes, lui qui a démontré que derrière l’horizon, outre un nouvel horizon, il y a une terre.
Imaginez sa joie d’avoir son nom dans une ZAC. Puissant ! Je le vois à la proue de son petit bateau pneumatique hurler à pleins poumons, ensemble hurlons, hurler « TERRE » « TERRA » dans le texte.
Voui, son bonheur. Avoir été Vasco de Gama et se retrouver là. Las. Hélas.
Ce retour sur terre est bien dur.

« Le retour à la terre » (6 tomes - Editions Dargaud) de Manu Larcenet.
Larcenet n’est plus un nom mais un Label. J’aime ces instants de confinement obligatoire pendant lesquels on peut fouiller dans la bibliothèque et se replonger avec délectation dans ces livres qui nous habitent.
« Le retour à la terre », avec Ferri au scénario, est un sommet d’humour et de tendresse. J’envie ceux qui ne le connaissent pas encore.
« Le retour à la terre » est le simple pas-de-côté d’un homme et son amie Mariette, qui ont choisi de fuir le bitume, la ville, pour s’installer à la campagne, aux Ravanelles. Rien n’est pourtant simple pour ce Manu de BD, ce dessinateur. Il ne rêvait pas spécialement de jolies salades ou de vaches broutant sous sa fenêtre. Il voulait du calme mais avec le moderne à portée de main. Il découvre la campagne et ses habitants, Monsieur Henri, le proprio, Tip-Top, le frère de Manu, l’Ermite qui est l’ancien Maire, et ma préférée Madame Mortemont, une formidable mémé…

Conseil de libraire : ensuite lisez « Le combat ordinaire » si émouvant, l’incroyable « Blast » et l’adaptation magnifique du « Rapport Brodeck » de Philippe Claudel, et puis encore Manu Larcenet, et encore Jean-Yves Ferri (dont ce « De Gaulle à la plage », Charles cousin de Tati...)
Des heures de lecture, cela tombe plutôt bien, Rue de la Solitude (quelle beauté pour une jolie rue charliendine) ou ailleurs. Et du « pas de côté » nous reparlerons.

Cadeau : un extrait d’interview de Manu Larcenet : « Il y a dix ans, un journaliste m'avait demandé la différence entre l'art et l'artisanat. Dans la famille de mon père, on était artisans potiers, donc je savais que l'artisanat, c'était reproduire cent fois le même geste, en exigeant cent fois le même résultat. L'art, en revanche, c'est faire cent fois le même geste en espérant cent fois un résultat différent. J'étais fier de ma phrase jusqu'à ce que je découvre, quelques années plus tard, que Freud définissait la folie comme le fait de faire toujours la même chose en attendant un résultat différent. J'avais la même définition pour l'art et la folie! Ça fait réfléchir... »

Aucune description de photo disponible.Aucune description de photo disponible.