Jour 25 - Samedi 11 avril - 21 h 00

La vie secrète des œuvres d’art

J’ignore si, comme moi, vous vous posez souvent toutes sortes de questions essentielles à la vie de tous les jours : L’univers est-il limité ? Le néant existe-t-il ? Le frigo reste-t-il allumé quand on le referme ? Le noir est-il une couleur ? Jean-Baptiste craint beaucoup pour ma santé mentale…

Et alors la question cruciale du jour : Que font les œuvres d’art dans un musée fermé ? Ont-elles une vie propre comme les livres ? « La liberté guidant le peuple » de Delacroix pose-t-elle son drapeau et son fusil à baïonnette ? Remonte-t-elle son corsage ? Le soleil dans « Impression soleil levant »de Monet finit-il pas se lever sur Le Havre ? Les hommes et les femmes qui dansent dans « Le bal du moulin de la Galette » de Renoir finissent-ils par rentrer chez eux ? Ou vont-ils ripailler dans les natures mortes des peintres flamands ? Et « les époux Arnolfini » de Van Eyck se lâchent-ils la main pour enfin s’embrasser ? Et oui que deviennent-ils tous ces trésors, enfermés dans leurs cages dorées à Florence, à Londres, à Paris, à New-york, à Roanne ou à Charlieu ? Sont-ils soulagés de ne plus subir nos présences vociférantes et nos maudits téléphones portables ? Pendant combien de temps vont-ils être soustraits à nos regards avides ? Il est plus que probable en tout cas, au vu de l’évolution de la pandémie, que nous soyons privés de ces richesses pendant un bon moment.
Pour ceux et celles qui avaient prévu cet été un petit tour au Louvre, au Musée d’Orsay, à la National Gallery ou au Palazzo Vecchio, qui avaient consciencieusement réservé leurs billets, voici une (toute) petite sélection que vous pourrez retrouver au Carnet à Spirales si toutefois celui-ci rouvre ses portes avant les musées.

L’affaire Arnolfini – Jean Philippe Postel – Actes Sud

Dans ce petit ouvrage, Jean Philippe Postel décortique le célèbre tableau du peintre flamand Jan Van Eyck « Les époux Arnolfini ». Pourquoi refaire l’histoire de cette œuvre déjà mille fois commentée ? Le tableau représente un homme et une femme enceinte se tenant la main, debout, dans un intérieur bourgeois du 15ème siècle. Mille détails dans ce tableau : un miroir qui reflète la chambre, des mules savamment disposées, un petit chien qui lui ne se reflète pas dans le miroir, une inscription étrange au mur… Comme des énigmes que le peintre aurait volontairement disséminées pour nous obliger à regarder, à réfléchir, à enquêter. Et en effet c’est bien une enquête que Jean Philippe Postel mène dans cet ouvrage original. Il relève les indices, écarte des thèses, élucide les énigmes sous nos yeux ébahis jusqu’à la révélation finale. Après lecture, une seule envie : s’envoler pour la National Gallery. Il faudra hélas attendre un peu.

Scènes de crime à Orsay - Christos Markogiannakis – Editions Le Passage

Christos Markogiannakis est à la fois diplômé de criminologie, auteur de polar et féru d’art. Il a l’idée originale de réunir ses deux passions, le crime et l’art, dans un ouvrage intelligent qui nous conduit dans les couloirs du prestigieux musée d’Orsay et se propose de décrypter une trentaine d’œuvres de Rodin, Cézanne ou encore Carpeaux qui ont toutes un point commun : représenter un meurtre. Chaque tableau ou sculpture est ici traité comme une scène de crime et en même temps que l’auteur propose une analyse artistique de l’œuvre, il mène une enquête sur le crime commis, le replace dans son contexte historique et social et nous livre le meurtrier et son mobile. Un livre surprenant qui ravira les amateurs d'art, d’histoire et de polars. Dans la même collection et du même auteur « Scènes de crime au Louvre ».

Le Turquetto – Métin Arditi – Actes Sud

Constantinople, 16ème siècle. Au milieu des rues animées et du Grand Bazar , Elie, jeune Juif, ne vit que pour sa passion, hélas entravée par sa religion : la peinture. Pour assouvir sa soif de pigments et de couleurs et pratiquer librement son art, il embarque précipitamment pour Venise où il exerce dans les ateliers de Titien avant de prendre son envol vers la gloire et la notoriété jusqu'à la chute, inévitable ? Métin Arditi nous fait franchir le temps et les frontières, nous plonge au coeur de l'art, du pouvoir, de l'influence de la religion, de la vanité qui conduit à l'anéantissement de la beauté. Tout simplement brillant.

Torrentius – Colin Thibert - Éditions Héloïse d'Ormesson

Un seul tableau de Johnannes van der Beeck dit Torrentius (et quel tableau !) subsiste. C'est l'histoire de ce peintre hollandais méconnu du 16ème siècle que nous conte dans un style très enlevé Colin Thibert. Un court roman passionnant où l'on suit avec délectation les aventures ou plutôt mésaventures de cet artiste irrévérencieux aussi doué pour les natures mortes que pour les estampes pornographiques. Mais hélas, Torrentius, fort en gueule, trousseur de jupons, athée notoire courut à sa perte et se fit prendre au piège par un bailli un peu plus zélé et inquisiteur que les autres. Un texte jubilatoire.

La liste est infinie, je me permets de rajouter quelques titres que j’ai beaucoup aimés : « La dame à la licorne » et « La jeune fille à la perle » de Tracy Chevalier, « La passion Lippi » de Sophie Chauveau, « Le tableau du maître flamand » d’Arturo Perez-Reverte, « Vie de David Hocney » de Catherine Cusset, « Etre ici est une splendeur » de Marie Darrieusecq et la série « Les chats du Louvre » du célèbre mangaka Taiyô Matsumoto.

Je vous laisse, les hommes en blanc arrivent avec la camisole...