La femme au Colt 45

Marie Redonnet

Le Tripode

  • Conseillé par
    11 février 2016

    Voyage en terre inconnue !

    Court roman d’un auteur que je découvre. Ce titre fait suite à une longue période de silence.
    Lora Sander fuit ! Elle quitte seule l'Azirie devenue une dictature militaire sous le commandement du général Rafi. Son but, Santarie, état où règne encore un semblant de démocratie. Comédienne, elle est sans ressource depuis la fermeture du Magic Théâtre , son époux Zuka a été arrêté et son fils Giogio s’est engagé dans une dangereuse insurrection armée.
    Au bord de la falaise, elle contemple le fleuve en contre-bas, ce cours d’eau est la frontière, mais le passage n’est pas des plus aisés. Elle ne sait pas exactement ce qui l’attend de l’autre côté, son seul soutien moral est un colt 45, cadeau de son mari. Unique rempart contre l’inconnu. Et l’inconnu est tout… sauf sûr !
    Car même si, théoriquement, la Santarie est une démocratie, l’ordre est loin d’être assuré dans certaines provinces.
    Après une traversée qui lui a couté plus d’argent que prévu, elle se rend vite compte que tout se monnaye et au prix fort, pour ne pas dire très fort !
    La liberté n’a pas de prix, mais Lora découvrira le contraire, à son corps défendant.
    Sa vie ne sera pas un long fleuve tranquille, chaque étape de son voyage sera parsemée d’épreuves ou de drames.
    Lora Sander, « héroïne » et narratrice de ce récit, aventurière malgré elle ; son périple lui permettra de s’épanouir dans l’adversité ! Une femme très attachante. Beaucoup de personnages de second plan dans ce récit, Lora rencontre beaucoup de monde durant son périple. Un chauffeur de camion qui la violera, mais pas réellement contre son gré, car elle en profitera également ; le propriétaire d’un camion de pizza qui l’embauchera et lui demandera un striptease quasi quotidien, mais qui lui léguera son camion. Puis un homme d’affaires qui lui offrira du travail dans une librairie mais lui demandera de coucher avec elle tous les jeudis soirs en sortant du restaurant où il l’invite. Elle s’apercevra alors que l’achat de la librairie n’avait nullement un but culturel, mais spéculatif. Quelques femmes aussi, Emy Spenser, écrivain anglaise, Anna, sa logeuse d’un moment, Nina Sharp américaine philanthrope. Et beaucoup d’autres…
    Une écriture originale, quelques lignes de présentation de la situation présente, puis un monologue plus ou moins long de la narratrice qui nous explique son histoire. Beaucoup de chapitres courts (entre 4 et 7 pages) aux noms qui souvent indiquent le lieu où se passe l’action :
    - L’autre rive, Le camion pizza, Le camping, Le cimetière, Pizzeria Luigi etc…
    Une sécheresse d’écriture, pas de détails inutiles, ni de phrases alambiquées, le strict nécessaire.
    Mais cela suffit amplement !


  • 21 janvier 2016

    Retrouver l'univers de Marie Redonnet depuis les textes surprenants comme Nevermore en 1994 ou encore Rose Mélie Rose en 1997, l'attente fut longue.

    Elle revient avec ce roman publié chez Le Tripode, La Femme au colt 45.

    Nous sommes en Azirie, sous la dictature. Lora Sander traverse un fleuve. Elle a franchi une frontière. Son pays est derrière elle, tout comme sa vie de comédienne. Son mari est emprisonné, son fils loin. Elle est désormais clandestine à Santaré.

    "-Je suis sans papiers et donc aussi sans identité. Il n'y a aucune preuve que je suis Lora Sander. Personne ne peut en témoigner. C'est une expérience troublante [...]. A partir de maintenant je vis dans la clandestinité comme tous les étrangers sans papiers qui arrivent à Santaré par la mer encore plus que par le fleuve. Cette ville est comme un aimant qui les attire, le point de rencontre des errances et des naufrages d'une humanité à la dérive."

    Elle prend le chemin de l'exil dans le dépouillement. Seul le colt 45 que lui a légué son père semble avoir encore de l'importance aux yeux de Lora. Est-elle pourtant protégée par cette arme? Lui sera-t-elle toujours gage de sécurité?

    La fable se construit dans le jeu cruel et délicat entre Lora et les hommes qu'elle rencontre sur son chemin. Marie Redonnet alterne la tonalité dramatique avec de courtes phrases telles les didascalies théâtrales et les paroles de Lora.

    Les détails quotidiens des rencontres sur son chemin d'exil initiatique et le symbole surpuissant de l'arme dans l'accomplissement de Lora s'ajoutent à la fable où apparaît en demi-teinte la violence du monde.

    La femme avance dans la quête de soi comme hors du temps. Sous couvert d'une grande simplicité narrative, la langue est poétique et se cache au fil des pages une tragédie contemporaine : celle de l'arme, objet témoin d'un tourment affectif dont il lui est difficile de se défaire et qui peut se retourner contre elle.

    Le colt 45 est aussi ce symbole de la domination masculine sur la femme, mais aussi métaphore de la toute puissance des hommes envers d'autres hommes -réfugiés- plus démunis.

    L'exil est douloureux et dans le dépouillement la fable devient plus politique.

    Précieux texte, publié chez Le Tripode, Janvier 2016.