Laissez-moi, commentaire

Marcelle Sauvageot

Phébus

  • Conseillé par
    6 novembre 2010

    Cette dernière phrase - “Une flamme très pure défiant la vie” -se suffit à résumé ce petit livre qui est ni un roman, ni une nouvelle, je dirai une longue lettre unique comme un dévidoir d’une blessure qui se doit de saigner, s’épurer, s’éclaircir et trouver au fin fond de cette douleur, le baume qui rendra cette plaie moins suintante, cicatrisant lentement au fil des mots écrits, pour ne pas dire jetés sur ce papier, tant on ressent sa déception, sa colère, son incompréhension et sa résignation.

    Ce livre est l’unique de cette dame emportée par la tuberculose. A la lecture de ce récit, on ressent son empressement à livrer tout ce bouillonnement en elle, tant cette rupture sans autre explication que cette phrase : « Je me marie… Notre amitié demeure… » '(c’est un peu léger), blessant et complètement ahurissant. Elle dépeint donc ce récit autour de cette phrase, elle tente d’analyser le pourquoi du comment, elle expose le sens du mot “Amour mué en Amitié” (ce qu’il lui laisse) elle tente de comprendre comment elle conçoit cette relation avant et après cette phrase. Cette longue lettre n’est autre qu’un abcès qu’elle perce à vif en plus de sa maladie elle doit donc combattre cette souffrance supplémentaire.

    Sa force qu’elle puise à écrire est sans doute le remède à cette blessure, dire ce qui n’a pas été dit sincèrement, mettre noir sur blanc les mots amers et chargés de rancœur, comment en être autrement alors qu’elle attendait du soutien, un amour de toujours, elle n’a qu’un lâche qui lui envoie cette lettre dérisoire avec cette simple phrase sans autres explications ni excuses.

    Mais elle ne tombe pas dans l’apitoiement, le plus à plaindre serait même cet ignoble personnage qu’elle nommait “Bébé” , il ne mérite aucune éloge, ni nom, pas de pitié pour ce genre d’être humain égoïste sans une once de courage, et monsieur la prie de garder leur amitié, non mais puis quoi encore… elle l’envoie au diable et c’est ce qu’il mérite…

    En résumé, un petit livre qui traversera le temps sans problème tant ce sujet est ô combien éternel, mais ce qui le rend intéressant c’est la manière qu’elle aborde cette rupture, comment elle l’analyse, elle la rend moins aigre et puise en elle, la noirceur du personnage afin de le rendre plus laid et plus rebutant que jamais à l’oublier au plus vite.
    J’ai apprécié la note de l’éditeur qui commence ainsi :

    “Le livre que le lecteur a entre les mains appartient à une espèce rare, à tous les sens de la parole : celle des écrits voués d’emblée par leur auteur à une sorte d’effacement, en tout cas à une discrétion haut revendiquée, fort éloignée des pratiques de l’ordinaire littérature.”

    La note se poursuit expliquant que ce livre n’était pas voué à l’être, ne se cataloguant dans un aucun genre, a connu plusieurs éditions et chacun s’évertuant à le perpétuer dans le temps : pari réussi à ce jour à vous de reprendre le flambeau en lisant ce petit livre venu du fin fond du coeur d’une femme blessée, humiliée, bafouée mais qui a su garder la tête haute… Lisez donc, lisez ce “Laissez-moi”

    “Ce livre, en bonne logique, aura donc connu l’épreuve du désert – mais ceux qui ont pratiqué le désert, justement, savent que c’est le lieu des plus hautes rencontres. Promis à toutes les fragilités, à toute les solitudes et peut-être à l’oubli, il aura réussi malgré tout à croiser la route de quelques passants de premier rang : Valéry, Claudel, Charles Du Bos, René Crevel, Henri Focillon, Clara Malraux… Tous ont clamé,sans être beaucoup entendu, leur admiration pour ces pages intraitables devant lesquelles ils ont rendu leurs armes.”