Conseils de lecture

Wright Morris

Christian Bourgois

9,00
Conseillé par (Libraire)
3 mars 2023

Chant des plaines est une complainte. Celle de trois générations de femmes vivant dans le rural Nebraska dont était originaire Wright Morris. Au début du siècle dernier, la toute jeune Cora quitte ses terres natales pour suivre son mari dans cet état rude du Midwest. Cette femme froide et dure à la tache, première de cette lignée de paysans qui ne met au monde que des filles, y passera le restant de sa vie partageant ses journées entre les tâches ménagères, les travaux agricoles et l'éducation honnête de deux filles (dont une n'est pas la sienne) mais sans affection particulière, sans démonstration d'amour maternel, avec le même détachement que Wright Morris dans son écriture. Ses deux filles prendront des directions différentes, Madge restera attachée à sa terre tandis que Sharon Rose quittera le domaine pour Chicago et assumera complètement son indépendance et son départ malgré son attachement à sa soeur mais aussi à cette campagne ingrate qu'elle portera malgré elle toujours en elle.
Chant des plaines est un roman rural, aride, un roman en noir et blanc qui dit tout du changement du monde en un siècle à peine, ce monde révolu dont l'auteur souhaitait ardemment garder la trace par ses mots âpres qui racontent le quotidien ordinaire des hommes et des femmes de la campagne à travers les objets les plus simples : un tapis élimé, une veste suspendue, une bouilloire, un panier à oeufs,...Ces objets que l'on retrouve également avec émotion (surtout quand on a lu le roman) dans ses photos car Wright Morris fut aussi un immense photographe. A découvrir absolument L'essence du visible Wright Morris Editons Xavier Barral


Timothée DEMEILLERS

Asphalte

10,00
Conseillé par (Libraire)
3 mars 2023

Une frappe derrière la nuque. Le froid des abattoirs. La routine du "planton des frigos". Des phrases courtes comme un couteau plongeant dans la chair. L'abattement de l'homme abattu par les mêmes gestes mille fois recommencés. L'agonie de l'espoir. Les maigres lueurs d'espoir. Le corps d'une femme aimée. Le corps d'une autre, qui prend entre ses bras, la place de la bête morte. Cette tuerie commerciale qui ravage l'esprit. Cette routine quotidienne sur la chaine de l'usine. Cette vie dehors qui se réchauffe parfois au soleil d'une plage à Pornic, dans la solitude d'une partie de pêche, dans l'isolement de la caravane. Cette vie dehors triste. Cette vie dehors ressemble à celle du "Grand soir", les néons, le Super U chauffé ou climatisé, lieu rassurant, viandes sous cellophane, viandes poussant des caddies.

Un court texte, mais un grand texte. Un coup au plexus. Est-ce toi Erwan qui est fou ou est-ce la vie qui est devenue folle ? Perso j'ai mon idée sur la question.


8,70
Conseillé par (Libraire)
1 mars 2023

Gerson, 13 ans, coule des jours heureux dans la campagne hollandaise aux côtés de son père et de ses frères, jumeaux et narrateurs de l'histoire. Tous les quatre ont réussi, bon gré mal gré, à combler l'absence de la mère, partie sans laisser d'adresse. Mais un accident de la route, qui rend Gerson aveugle, vient chambouler leur paisible existence. Gerbrand Bakker, sous l'apparente simplicité de l'écriture, dresse le portrait émouvant, tout en nuance, d'un jeune garçon frappé de plein fouet par le destin et d'une famille déroutée par ce drame. Il dépeint très justement les subtiles relations qui unissent le père à ses fils, les jumeaux à leur petit frère. Comme dans ces précédents romans, pas d'action, de revirement de situation, juste de la poésie, une connaissance fine de l'humain et de la nature qui l'entoure, une tension qui monte au fil des pages et un dénouement qui nous laisse le coeur serré. "Quand je dors, je rêve et quand je rêve, au moins je vois encore quelque chose." Des mots qui résonnent bien après la dernière page refermée.


Christian Bourgois

11,00
Conseillé par (Libraire)
1 mars 2023

Une plongée au cœur de la communauté juive hassidique qui ne peut laisser indifférent tant l'esprit communautaire dirige la pensée, les vies. L'art de protéger la communauté au détriment de l'individu. Cela peut d'ailleurs parfaitement s'inscrire dans notre actualité. Le personnage est Surie Eckstein, 57 ans, 10 fois mère, 20 fois grand-mère environ... qui est enceinte de jumeaux ! Elle ne peut le dire et donc se tait, se terre dans ce silence, le tout rythmé par les fêtes et rites religieux, hallucinant par leur nombre, par l'opulence des mets. Et puis il y a Lipa, ce fils homosexuel, renié, rejeté puis retrouvé pendu... Un grand livre, dur à refermer, absolument impitoyable, profond mais aussi drôle par instant soit volontairement soit par le côté absurde de certaines situations. Se taire pour protéger...


Du bidonville à la cité de transit, le parcours d'une famille algérienne

Pocket

7,00
Conseillé par (Libraire)
28 février 2023

Mehdi Charef, auteur du très beau « Le thé au harem d’Archi Hamed », a dix ans lorsqu’au sortir de la Guerre d’Algérie il débarque sur le sol français avec les siens pour rejoindre son père dans l’espoir d’une vie meilleure. Désillusion et amertume, les rêves vont se fracasser contre la tôle d’un bidonville de Nanterre, un déracinement douloureux admirablement relaté dans son avant-dernier livre « Rue des Pâquerettes ».
Dans ce deuxième opus, Mehdi et sa famille ont été relogés dans une cité de transit, à peine plus confortable que le bidonville. De son regard plein de candeur, l’enfant continue de sonder inlassablement le quotidien : le père sur les chantiers, la mère dont la bicoque avec eau courante et toilettes est le royaume, l’école « deux baraques en préfabriqué » où Mehdi excelle, l’entraide entre occupants de la cité, la découverte de la première télé, la tournée des bonnes sœurs qui distribuent médicaments et conseils contraceptifs, la vie faite de petits riens et d’infimes joies qui s’organise malgré tout. Affleure le parfum de l’Algérie, ce pays loin des yeux mais près du cœur évoqué par Mehdi en interludes, la cuisante et lancinante douleur qui rappelle qu’on a perdu un pays sans en avoir retrouvé un autre, cet autre si vertueux, moralisateur, fier d’éduquer des sauvageons, où la banlieue, en plein essor, réclame toujours plus de main d’œuvre mais n’est pas encore devenue la pieuvre monstrueuse qu’elle est désormais, émaillée à l’époque de petits commerces, de marchés et d’humanité.
Mehdi Charef livre un texte lumineux et bouleversant entre autobiographie et documentaire. Il dépeint avec beaucoup de délicatesse la souffrance imposée par le déracinement et toute la difficulté d’être soi quand on ne se sent pas chez soi. « J’ai l’impression que les Français nous scrutent [..]. Ma faute est d’être arabe. Moi qui désire être aimé tout le temps et par tout le monde, je vacille ». Mais, plus que tout, il souligne la formidable endurance d’hommes et de femmes arrachés à leur vie, la force déployée par chacun pour continuer, rester droits, dignes, vivants.
Publié dans Magazine Initiales