Pour le meilleur et pour le pire

Jour 17 - vendredi 03 avril - 18 h 30

Pour le meilleur et pour le pire

Le plus gênant dans le confinement ce n’est pas le confinement en lui-même. Rester enfermé chez soi n’a jamais tué personne (C’est pour cette raison que l’on reste chez soi banane ! Pour éviter la mort !). Non, le plus embêtant c’est de ne plus pouvoir accéder aux loisirs. L’homme moderne ne peut plus se distraire. Terminée la patinoire avec le club du 3ème âge. Finie la balnéothérapie avec massage relaxant et séance de réflexologie/tisanes entre copines. Fichue la soirée bowling/bières entre potes. Evanouie l’excitation d'accompagner Tata Christiane au dernier concert de Daniel Guichard (finalement c’est arrangeant). Annihilé le désir secret de gagner un téléviseur écran large au loto du foot ou celui de dénicher un sucrier au vide-grenier du Sou des écoles. Envolé l’espoir de visionner un bon film au cinéma ou d'assister à une belle pièce de théâtre avec son amoureux.se. Disparue la perspective d’arpenter les galeries du Louvre ou du Musée d’Orsay en famille. Illusoire la folle excitation de déambuler seul (enfin) dans les allées du Carnet à spirales dans l’attente insoutenable qu’un livre jette son dévolu sur votre admirable personne (rappelez-vous, c’est lui qui vous choisit) et de commander un bon chocolat mousseux à l’orange préparé avec amour et servi par des libraires souriants et détendus. Rien. Nada. Que dalle. Rideau baissé. Circulez y a rien à voir.

Mais le pire ne réside pas dans cette succession catastrophique de fermetures d’établissements ou d’annulations de manifestations. Plongés dans une incertitude croissante quant à la date de retour à la normale d’une vie sociale exaltante, le plus épouvantable émane de l’obligation d’annuler les événements familiaux prévus de longue date : fête d’anniversaire, baptême, communion, et l’ultime crève-cœur, le comble du déchirement, l’annulation du mariage. Oubliez la cérémonie à la mairie où l’officier d’état-civil bute sur tous vos prénoms et ceux de vos ascendants ; oubliez la cérémonie religieuse où vous aviez prévu une bande son d’enfer que le curé vous a refusée ; oubliez le moment fatidique du Oui mille fois prononcé en imagination ; oubliez la salle des fêtes réservée et payée depuis deux ans et les décorations amassées dans le garage ; oubliez le photographe, le traiteur, le DJ ; oubliez le cadeau immonde de Tata Christiane (encore elle) ; oubliez votre robe de mariée car au train où ça va vous ne pourrez plus rentrer dedans l’année prochaine (quand on est confiné on mange) ; oubliez les larmes de joie de votre maman et les blagues potaches du cousin Raymond, cousin au 10ème degré par votre père ; oubliez toutes les surprises préparées par vos amis et les centaines de photos soigneusement punaisées aux murs par des mains fraternelles relatant le bonheur simple de l’enfance et les grands moment frivoles de l’adolescence .

Oubliez le discours enflammé, vibrant et émotionnellement parlant insoutenable de Tonton Christian, écrivain à compte d'auteur, poète de la famille ; Ah non celui-là vous ne pourrez pas l’oublier car je vais vous le présenter ce soir. Ici il s’appelle Adrien, narrateur et personnage central du roman « Le discours » de Fabrice Caro (Fabcaro pour les amateurs de BD) éditions Gallimard paru récemment en Folio
Imaginez la scène : Adrien, 40 ans, célibataire, dépressif à ses heures (il n'est pourtant pas écrivain), dîne chez ses parents en compagnie de sa soeur et de son futur beau-frère. Alors qu'Adrien attend désespérément une réponse au message envoyé ce jour à 17 h 56 à sa compagne qui l'a quitté pour faire "une pause", Ludovic, son futur beau-frère lui demande s'il aurait la gentillesse de faire un discours pour leur mariage "C'est le plus beau cadeau que tu puisses faire à ta soeur.". Dans l'incapacité totale de dire non depuis toujours, Adrien va passer sa soirée à alterner sueurs froides engendrées par la perspective du discours qu'il faudra non seulement rédiger mais en plus déclamer devant un immense parterre d'invités et angoisse atroce liée à l'attente d'une réponse de sa dulcinée. Entre le gratin dauphinois et le gâteau au yaourt, en même temps qu' il écoute pérorer son beauf sur les avantages du chauffage au sol ou les conséquences de la fonte du permafrost et sa mère catégoriser les gens en trois groupes : ceux qui ont un cancer, ceux qui font construire et les autres, il va dérouler le fil de son existence et livrer ses considérations sur la vie en général. On l'aime ce looser magnifique et on sourit, on rit, on éclate de rire. Fabrice Caro signe un roman à l'humour corrosif et décalé, livre une réflexion bien sûr décapante sur le mariage, questionne sur le couple, interroge sur le regard de travers porté sur les célibataires sans enfants.

Et pour approfondir le sujet, même si vous n'êtes pas spécialement attirés par la bande dessinée, vous pouvez quand même vous faire plaisir avec, du même auteur :

Moins qu'hier (plus que demain) Éditions Glénat BD
Et si l'amour c'était aimer aux éditions six pieds sous terre

Sur ce, je cours rejoindre mon mari,car même si ça n'a pas été facile, je suis casée...