Silence on lit !

Jour 43 - Jeudi 30 avril - 19 h 45

Silence on lit !

Richesse oblige par Cayre

Il y a ceux qui préfèrent les lire avant de les voir, ceux qui adorent les voir avant de les lire, ceux qui n'iront jamais les voir parce qu'ils les ont lus ou ceux qui ne les liront jamais parce qu'ils les ont vus. Le grand dilemme de la littérature adaptée au cinéma. J'avoue que je me classe plutôt dans la troisième catégorie. Bon c'est vrai que depuis quelques années, avec une tribu de quatre enfants, une librairie à gérer, une maison à entretenir, des repas à confectionner pour six, des étagères entières de livres à s'envoyer, une nounou à trouver pour garder les plus petits, la question d'aller voir une adaptation ne se pose plus beaucoup. Il n'en reste pas moins que j'ai parfois du mal à retrouver dans l'adaptation l'émotion que m'a procuré le livre car mon imagination avait prêté des traits aux personnages, avait pris place dans les lieux où ils évoluent et les mots avaient façonné le caractère et la personnalité des protagonistes. Et quand les images, les voix, les visages, les endroits, les répliques diffèrent du monde que vous aviez créé au fil des pages ou sonnent faux par rapport à votre perception de l'ouvrage, la déception peut être au rendez-vous.
Néanmoins j'ai souvenir de très bonnes adaptations où le réalisateur, tout en s'affranchissant du "pied de la lettre", en prenant une certaine liberté, respectait et sublimait l'écrit par les couleurs, la musique, les plans et où les acteurs, principaux ou secondaires, revêtaient leur personnage littéraire comme on revêt un vêtement confortable. Je pense notamment à "Au revoir là-haut", "Les âmes grises", "Un long dimanche de fiançailles" , "La ferme africaine" ou "Le pianiste" que l'on peut voir et lire dans le sens que l'on voudra sans être déçus ni par le livre, ni par le film tant le film a su retranscrire les mots pour les mettre en mouvement et en couleur, les faire vivre magnifiquement.

Ce qui m'amène bien sûr et tout naturellement à l'adaptation de l'excellent roman noir d'Hannelore Cayre "La DaronneEditions Métailié / Editions Points. Bien entendu la sortie du film prévue initialement au mois de mars, est reportée. Même si nous ne pouvons malheureusement profiter pour l'instant que de la bande-annonce, quelle jubilation de constater qu'Isabelle Huppert prête ses traits à la Daronne ! En effet, qui d'autre pouvait incarner cette veuve, mère de famille, fille d'une grabataire complètement cramée placée en EHPAD, traductrice judiciaire qui décide un jour de passer du côté obscur et profiter de sa situation professionnelle pour se lancer sans scrupules dans le trafic de drogue. Quelle autre actrice aurait pu rentrer dans la peau de la veuve Portefeux, cette femme exceptionnelle, au dessus du lot, hautaine, culottée, mais tellement touchante ? Qui d'autre ? Vraiment je ne vois pas. Dans une autre vie, je voudrais être Isabelle Huppert...(C'est mieux que Jean-Pierre Marielle, je le laisse à Jean-Baptiste...)

Alors en attendant de voir si l'adaptation est à la hauteur du livre, je vous propose le lot de consolation : la bande-annonce du film de Jean-Paul Salomé .

Et puis pour patienter, Ô joie, le nouveau roman d'Hannelore Cayre : Richesse obligeEditions Métailié où vous retrouverez avec délice le même ton caustique, le même humour mordant, les mêmes personnages singuliers, avec en prime une belle incursion dans le Paris de 1870 tremblant devant le spectre de l’invasion des Prussiens.
Blanche de Rigny n’est pas une riche héritière comme son nom semble l’indiquer mais il y a de fortes probabilités pour qu’elle le devienne. En effet, Blanche, mère célibataire, sorte de joli petit canard boiteux, muni d’un encombrant appareillage suite à un accident survenu pendant son adolescence mais aussi d’une grande gueule, découvre qu’elle est sans nul doute issue d’une famille immensément riche, affreusement bourgeoise, horriblement condescendante. Avec l’aide de sa très grande amie Hildegarde, une grande girafe blonde atteinte du syndrome de Marfan, une maladie génétique rare mais qui ne passe pas inaperçue, elle se met en quête de son arrière-grand daron, un bourgeois au grand cœur et de ses vilains descendants. Hannelore Cayre alterne habilement les époques et lorsque l’on quitte Blanche, on plonge avec délectation dans le Paris de 1870 en proie à l’invasion prussienne en compagnie d’Auguste, l’aïeul, celui par qui tout commence, celui dont la famille recherche désespérément un remplaçant pour partir à la guerre à sa place. Et oui car il faut vous dire qu’en 1870, si l’on était riche, l’on pouvait se payer la vie d’un homme. Blanche va donc peu à peu remonter le fil et mettre en place une jolie combine pour se retrouver seule et unique branche avec son joli petit bourgeon de fille tout en bas de l’arbre généalogique. Un texte jubilatoire, tant dans la construction, l’intrigue, l’Histoire avec un H, que dans le verbe, lui-même adapté à chaque époque, sans concessions, bien balancé au 21ème siècle, plus posé et académique au 19ème. Une galerie de personnages hauts en couleurs, du plus aristo au plus vulgaire, le premier se confondant souvent avec le second. Il n’en reste pas moins que 19ème siècle ou 21ème, c’est blanc bonnet et bonnet blanc, l’argent et le pouvoir font toujours la pluie et le beau temps. Heureusement qu’il existe des Blanche de Rigny pour remettre un peu d’ordre dans tout cela.

Pour visionner la bande-annonce, cliquer sur le lien ou l'image :

http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19585579&cfilm=268644.html?fbclid=IwAR2_y97J41L7uvlQT4fbkScVJevSpKY7P8UNoJkVT8rTZhAgu9WzkA2DJuU

La Daronne - film 2020 - AlloCiné