A l'immortalité

Jour 39 – Dimanche 26 avril 2020 – 21 h 07

A l’immortalité

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Si j’étais contrainte de m’exiler seule sur une île déserte… Quelle absurde idée ! Je défie quiconque, à une époque où l’explorateur n’en est plus vraiment un car tout a été découvert avant lui (quelle frustration) et où le moindre caillou est cartographié, scanné, repéré, enregistré, évalué, passé au crible, de trouver une île déserte. Je me demande également quelles raisons pourraient bien me pousser à me retrouver, seule qui plus est, sur une île. A part un truc de fin du monde je ne vois pas… Enfin soit, admettons. Si donc j’étais contrainte de m’exiler seule sur une île déserte, quelle œuvre, j’entends une œuvre entière pas un seul livre, emporterais-je avec moi ? (Encore une idée absurde, un tel exil implique la précipitation et la précipitation exclut les pensées du genre : ah au fait et si j’emmenais quelque chose à lire ?). Bon bref, souscrivons à cette idée saugrenue.
Sûr que j’hésiterais énormément mais comme je ne possède qu’une seule valise (en carton en plus), il faudrait choisir. Albert Camus ? Guy de Maupassant ? Joyce Carol Oates ? Jane Austen ? Michel Houellebecq (non là je plaisante) ? Même si cela m’en coûte cela serait l’œuvre d’un homme, pardon Mesdames. Mais quel homme ! Un sage. Un homme bon j’en suis persuadée même si je ne le connais que par ces textes. Un homme qui sait voir les autres, les regarder, leur parler d’égal à égal, sans les juger, les jauger, ni les moraliser. Jean-Baptiste a eu l’honneur de lui être présenté il y a quelques années (j’en crève encore de jalousie) et de lui parler quelques minutes. Pas un instant, l’homme, pourtant Académicien, plein de modestie, n’a parlé de lui. Toute la conversation fut orientée sur Jean-Baptiste, le métier de libraire et la région dans laquelle il exerçait cette belle profession.

J’emmènerais donc sans conteste et sans regret l’œuvre d’Amin Maalouf, certes, peut-être moins abondante que celle d’autres, plus prolixes, plus bavards, mais n’est-ce pas la qualité qui prime sur la quantité ? Amin Maalouf, Immortel qui a succédé à Claude Levi-Strauss…. Respect.

En même temps que je découvrais Amin Maalouf il y a maintenant de nombreuses années, je découvrais réellement un pays que j’aurais vaguement situé sur un planisphère du côté de la Turquie ou de la Syrie sans pouvoir le placer de façon exacte et qui, vu uniquement à travers le prisme des journaux, ne m’évoquais que les affres d’une guerre civile sans fin, le Liban. Découvert un pays, aussi une région du monde à la puissance fortement évocatrice, chargée de mystères et de parfums d’Orient, les pays du Levant dont fait bien évidemment partie ce tout petit pays, coincé entre la Syrie et Israël, entre la belle Bleue et le Mont Liban. J’ai d’abord commencé mon odyssée Maaloufienne par « Le rocher de Tanios », l’attachant Tanios, cet enfant libanais du 19ème siècle dont un mystère entoure la naissance, contraint de quitter ce cher pays que se disputaient allègrement Egyptiens et Ottomans soutenus respectivement par les Français et les Anglais ; poursuivi mon chemin par « Les échelles du Levant », émouvant destin d’Ossyane pris dans les tourments des deux guerres mondiales et le déclin inexorable du Levantin ; continué ma route avec l’extraordinaire voyageur que fut « Léon l’Africain », passé par le poétique et fabuleux Samarcande, attardée avec « Les désorientés », ceux qui ont perdu l’Orient…, cet Orient égaré dont la dégringolade est si bien relatée dans « Le naufrage des civilisations » et où l’auteur s’inquiète du triste état de notre monde contemporain ; pays du Levant, désormais pays du Couchant, en cela « aidés » par les Occidentaux ?

Je ne les citerai pas tous, au risque de ne constituer qu’un simple et morne inventaire qui ne ferait pas honneur à l’auteur. Mais tous abordent la splendeur et le déclin des pays du Levant, de ce magnifique Liban, un modèle de vivre ensemble, un haut-lieu de la culture où il n’y encore que quelques décennies régnait une relative paix, où chaque communauté pouvait vivre librement côte à côte sans se déchirer. Tous parlent d’exil, tous parlent de brassage des cultures, tous parlent d’identité. Et il en est un sur lequel je me suis arrêtée, que j’ai toujours à portée de main, sur mon chevet, que j’ai offert à des amis, qui l’ont offert à leur tour à des amis, qui j’espère l’ont offert à des amis qui l’offriront à des amis : « Les identités meurtrières », un livre essentiel, que chacun devrait posséder et lire et relire. Ecrit en 1998, trois ans avant l’abomination que l’on connaît, il résonne plus que jamais dans notre époque qui voit monter les nationalismes et brandir justement ces identités, dans le plus mauvais sens du terme. Amin Maalouf humainement, généreusement, simplement, modestement, sans jugement explique ce qui pour lui fait l’identité de chaque homme et ce n’est sûrement pas cette identité revendiquée haut et fort qui conduit généralement à la négation de l’autre. Il prend appui sur son parcours personnel d’exilé, d’homme multi-culturel pour démontrer que l’identité n’est pas unique mais s’enrichit, se façonne justement tout au long de notre vie, de nos expériences, de nos rencontres, que ses facettes sont multiples et changeantes et qu’aucune, qu’elle soit religieuse, culturelle, politique... ne devrait prendre le dessus sur les autres. Un livre qui n’aurait pas à rougir de figurer aux côtés des classiques étudiés au collège ou au lycée, un livre à mettre entre toutes les mains, des plus vieux comme des plus jeunes.

« D'ordinaire, lorsqu'un auteur arrive à la dernière page, son vœu le plus cher est que son livre soit encore lu dans cent ans, dans deux cents ans. Bien entendu, on n'en sait jamais rien. Il y a des livres qu'on voudrait éternels et qui meurent le lendemain, alors qu'un autre survit qu'on croyait être un divertissement d'écolier. Mais toujours on espère. Pour ce livre, qui n'est ni un divertissement, ni une œuvre littéraire, je formulerai le vœu inverse : que mon petit-fils, devenu homme, le découvrant par hasard dans la bibliothèque familiale, le feuillette, le parcoure un peu, puis le remette aussitôt à l'endroit poussiéreux d'où il l'avait retiré, en haussant les épaules, et en s'étonnant que du temps de son grand-père, on eût encore besoin de dire ces choses-là.»

Les portes du Carnet vous sont grandes ouvertes Monsieur Amin Maalouf !

Et vous, chers amis lecteurs, quel auteur emmèneriez-vous sur une île déserte ?

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