Luis Sepúlveda …

Jour 30 - Jeudi 16 avril – 18h50

Luis Sepúlveda …

L’image contient peut-être : 1 personne, assis, barbe et intérieur

 

Bien sûr le virus touche et frappe aveuglement. Il touche aux poumons, empêche la respiration, empêche la respiration d’un homme, d’un écrivain qui aura fait de l’écriture une résistance, de cette résistance une intelligence, une intelligence contagieuse. Cette respiration a cessé chez l’écrivain mais ne cesse dans ses œuvres. Certainement cher Luis Sepúlveda que vous serez bien seul au moment d’être enterré, comme chacun actuellement, et vous ne voudriez pas autre cérémonie, différente de vos contemporains, vous serez seul mais jamais serez dans l’indifférence.

 

Aujourd’hui libraire je ne peux vous rendre hommage autrement, la librairie étant fermée. Cela probablement vous aurait agacé de voir ainsi ces librairies portes closes. Demain, dans un jour neuf, nous rouvrirons et offrirons à nos promeneurs lecteurs, vos œuvres, vos engagements, votre courage, et surtout cette cohérence qui manque tant à notre société, cette persévérance d’une vie. Merci à vous.

Merci à Anne-Marie Métailié d’avoir édité ses romans. Une pensée pour toute l’équipe… Editions Métailié

 

Plutôt que des passages de ses romans que vous connaissez déjà ou que vous découvrirez bientôt, voici quelques extraits d’interviews de l’écrivain, qui dessine en filigrane le portrait d’un sacré humain… et une photo qui semble signifier, en une position du corps et de l’index tendu, toute la force de l’auteur.

 

« J’ai toujours soutenu ceci, qui est une évidence : lire fait du bien. La lecture ouvre et réveille la sensibilité qui nous permet de mieux comprendre la vie et tout ce qui se passe. Il n’est pas question ici de dire que lire nous rend plus intelligents, nous sommes tous intelligents pour le meilleur et pour le pire. Lire donne à l’intelligence ce petit plus qui relève de l’intelligence émotionnelle. »

 

« La politique, cet "art du possible", et la participation sociale et politique, n’est pas une question de croyance, de foi. Le monde, à partir de la chute du mur de Berlin, a changé, comme ont changé les manières d’affronter les défis qui éloignent les sociétés des idées de justice et d’équité. Mais les problèmes et les défis sont toujours là. La dernière "crise" a été provoquée non par les sociétés dans leur ensemble mais par la volonté de spéculation qui a surpris même les plus ardents défenseurs du capitalisme classique. Les solutions à cette crise ont pour nom la réduction des dépenses publiques, la libéralisation du travail, l’austérité dans les dépenses sociales. Cela a provoqué une précarité qui n’est en aucun cas temporaire ou due à une situation d’urgence. Tant le FMI que d’autres institutions internationales annoncent que cette précarité est là pour longtemps. C’est le nouveau "modèle" imposé : vivre et travailler dans la précarité. Tout cela a rendu encore plus cruciale la nécessité de trouver des solutions politiques, de proposer des alternatives. La participation en politique n’est pas une question de croyance, c’est un devoir d’intelligence et de sensibilité sociale. »

 

« «Si nous n'avons pas une perspective du futur, la vie n'a aucun sens, expliquait-il au Figaro en 2009. Quand on comprend le passé, on peut mieux comprendre le présent. Quand on comprend le présent, on peut avoir une vision du futur. Je ne suis pas un optimiste à 100 %, je suis optimiste à 50 %... Ou 70 %! Je pense que le futur sera meilleur que le présent…» Promoteur d'un vivre ensemble militant, attentif aux causes environnementales, il savait bien que «la vie est dure», pour beaucoup, partout. Mais ses engagements suivaient une ligne de conduite claire. «Tout ce que nous faisons pour transformer cette réalité se fait, paradoxalement, d'un point de vue optimiste. Même si cela se termine par une défaite, et, en général, cela se termine souvent par une défaite! Comme le dit un ami mexicain: De défaite en défaite, nous irons jusqu'à la victoire finale.» »

 

« L’Amazonie menacée, c’est toute la planète qui est menacée. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, les inégalités n’ont été aussi fortes qu’aujourd’hui. L’irresponsabilité et le caractère criminel des grandes multinationales ont altéré la géographie politique avec des guerres comme celles d’Irak, de Syrie ou de Libye, ont altéré la géographie humaine et sociale, provoquant d’énormes exodes de réfugiés, qui ne trouvent aucun pays pour les accueillir, ont altéré la géographie morale avec l’augmentation de la xénophobie et du racisme comme raison d’Etat. Et tout cela exige une intelligence pour imaginer un autre monde, une autre société, afin de changer radicalement les choses. »

 

« J’ai toujours soutenu ceci, qui est une évidence : lire fait du bien. La lecture ouvre et réveille la sensibilité qui nous permet de mieux comprendre la vie et tout ce qui se passe. Il n’est pas question ici de dire que lire nous rend plus intelligents, nous sommes tous intelligents pour le meilleur et pour le pire. Lire donne à l’intelligence ce petit plus qui relève de l’intelligence émotionnelle. »

 

« Il y a seize ans, il vivait sous nationalité allemande ; la chilienne lui avait été retirée sous Pinochet. Rien n’a changé : «Ils me l’ont enlevée, qu’ils me la redonnent. Ce n’est pas à moi de la demander.» »

 

De longue date, Sepúlveda a fait sienne la devise de l’écrivain Brésilien Joao Guimaraes Rosa : « Raconter, c’est résister. » A quoi ? A « l’empire de l’unidimensionnel, à la négation des valeurs qui ont humanisé la vie et qui s’appellent fraternité, solidarité, sens de la justice ».

 

Résister « à l’imposture, à l’escroquerie que représente un modèle social auquel [il] ne croi[t] pas, car il n’est pas vrai que ce qu’on appelle globalisation nous rapproche et permette enfin aux habitants de se connaître, s’entendre et se comprendre » (La Folie de Pinochet, Métailié, 2003).

« Alexandre Dumas a répondu à cette question dans Le Comte de Monte-Cristo. L’oubli n’est pas une forme de pardon. Malheureusement, au Chili, les militaires comme la droite ou les trois gouvernements qui se sont succédé après le départ de Pinochet (démocrates-chrétiens puis, aujourd’hui, socialiste) croient que l’oubli est un biais pour faciliter le pardon. Mais on ne peut pardonner qu’à celui qui a assumé les fautes qu’il a commises. Hélas, cela ne s’est jamais produit au Chili.

Moi, je n’oublie pas les meilleurs moments de ma vie, mes années de militantisme, de rêves ; ces mille jours durant lesquels nous avons changé radicalement la réalité chilienne. Les gens se sont mis à lire, à vivre, à faire la fête. Les conquêtes sociales étaient nombreuses, à commencer par ce demi-litre de lait obligatoire donné à tous les enfants, parce que pour penser il faut manger. Un mot résume pour moi cette époque : joie, une immense joie. Je n’oublie pas non plus tous ceux qui ont payé le prix fort, qui ont connu la torture ou qui ont disparu, ceux qui sont morts de tristesse en exil. Et c’est parce que je n’oublie pas que je ne pardonne pas aux responsables. »