Des gares...

Jour 26 - dimanche 12 avril 2020 - 21h20
Des gares...

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Nous parlions de voyages immobiles, de départs annulés, de valises délaissées sur les étagères encombrées de nos buanderies, de nos chambres, nous parlions de départs, nous parlions d’arrivée, d’arrivées au point de départ seulement. Mars 2020, avril 2020 et probablement mai 2020 les voyages ne forment plus la jeunesse, ne déforment plus les valises mais garantissent la santé. Il n’est plus question de bronzage, à part sur le balcon ou dans le jardin, il n’est plus question de découvertes, de visites, il n’est plus besoin de caution, il est seulement besoin de raison. Les péages, insupportables dîmes de ceux qui circulent sont déserts (« L'article L. 122-4 énonce que l'usage des autoroutes est en principe gratuit mais prévoit l'institution de péages et la possibilité pour l'État de déléguer ses missions de service public autoroutier. »), les aires de repos résonnent de l’absence des vaches à lait – je me souviens, amateur de Combi VW, d’un livre où les propriétaires avaient passé leurs vacances d’une aire à une autre pendant des semaines… - , que les sandwiches abominables sous cellophane avec le goût insipide d’une tomate hors saison ne trouvent plus victimes. Nous ne viendrons plus chez vous sans raison, en effet, sans raison. Besoin Total de vous fuir. Crise pétrolière, bonheur du porte-monnaie…
C’est con on ne peut plus circuler. C’est con car le plein aujourd’hui me coûte moins cher qu’hier et plus que demain. Actuellement, pour le plaisir, je mets cinq euros par cinq euros et je ris…
Voyages immobiles, et trains sans retard. Joyeux utilisateur régulier du train à grande vitesse je me souviens du temps désormais lointain où Belmondo de pacotille on pouvait, à la seconde près, lorsque les portes se ferment, que le cœur bat la chamade d’un effort de course et de la peur féroce de le louper (pas le cœur, le train..), courir comme un dératé, comme un mort de faim (quoique j’ai la chance de ne pas connaitre cet état), après ce train dont les portes se ferment au coup de sifflet d’un agent de la SNCF fier et beau sous son képi, bien droit dans sa tenue de cheminot. Quelle beauté, le roi des clés, le maître du temps, le chef des rails et moi, petit humain à quatre heures du matin levé, qui suis à sa « botte », à son ordre. Il est loin ce temps de ces trains tel un héros, rouge d’effort, suant corps et âme, que j’avais, à la seconde près, chopé, pour finir haletant au wagon bar devant une bière et un paquet de chips grasses.
Bon désormais, les trains sont tristes, les accès sont réglementées, les horaires (des TGV je m’entends) tenus. De cela il n’est plus question et pourtant. Et pourtant que ces trains sont chers, que les billets n’incitent peu à une virée sur les rails quand la voiture est là présente, quand le bus de la diagonale du vide fait office de transport en commun. Bien seul alors dans ces transports en solitude. Car ce qui manque c’est la gare. Purée que ces gares d’échanges de tristes bus sont désolées. Que ces lieux d’échanges de voyageurs sont vides, qu'ils sont quelconques. Que ces bus Macron, du temps du ministre, sont le régime du pauvre, là où le service public a baissé les bras quand le public au nom du service minimum monte, contrit, pour traverser la France en diagonale (du vide). Et ces gares merveilles d’architectures, épicentres du centre, folles enceintes de baisers et de larmes, d’annonces de départs et d’arrivées sont belles, indispensables. Aujourd’hui les villes se rendent compte de l’impact de la gare sur l’activité du centre-ville, quand la gare est là au centre et non au loin, à 10 bornes funestes de voies express, de zones industrielles, de zones pavillonnaires. Maintenant les rails sont des zones cyclables, un moindre mal. Maintenant les gares redeviennent épicentres de la ville, deviennent lieux de vies et de rencontres, s’ouvrent au nord et au sud, deviennent quartier de la gare. Désormais, la convivialité perdue des rues se trouvent en gare, avec ses pianos, ses baby-foot, ses boutiques et son resto au lustre d’antan, portes battantes et formules « brasserie ». C’est un quartier, un lieu de vies, d’envies quand les chaînes de boutiques s’accaparent les esplanades et c’est en fermant les yeux, le grondement du train qui mettait 6 ou 8 heures à relier Paris et Rosporden quand les vacances venues, nous partions, mon frère aîné mais con toutefois et moi, sandwiches dans le sac, rejoindre le Finistère, chez la grand-mère pour le mois. La journée dans le Corail comme une invitation au voyage, comme une prison avant la beauté de l’océan. Cela sentait le cornichon, le jambon et le pâté, cela sentait la banane, cela bruissait des froissements des sacs ouverts dès 10 heures du mat, car pourquoi attendre midi pour manger, cela se rythmait aux arrêts de ces gares traversées. Ah cela oui on connaissait notre géographie et là cinq minutes d’arrêt. C’était excitant au départ et puis fort long ensuite, mais c’était le voyage. Ces gares, magnifiques, où les couples s’enlaçaient dans une plongée insupportable de séparation, où les couples s’enlaçaient dans le bonheur de se retrouver. Ces gares pas si lointaines conçues et déjà disparues dans cette abolition de la distance, dans cette accélération du temps. Ces gares chantées, filmées, et décrites que j’aime tant. Pour le plaisir quelques lectures de gares mais non de littérature de gare, expression péjorative de littérature facile pour meubler les heures de voyages et de plages vendues dans des relais de lettre H, vendues dans des relais de l’ennui quand le temps est au rêve, à l’imagination et au plaisir du temps de la découverte.

Train de nuit pour Lisbonne – Pascal Mercier – Editions 10-18

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06h41 – Philippe Blondel – Éditions Buchet/Chastel
Le crime de l’Orient-Express – Agatha Christie – Le Livre de Poche
Transsibérien – Dominique Fernandez - Editions Grasset et Fasquelle

Et puis La bête humaine – Emile Zola

« A ce moment, le train passait, dans sa violence d'orage, comme s'il eut tout balayé devant lui (...) C'était comme un grand corps, un être géant couché en travers de la terre, la tête à Paris, les vertèbres tout le long de la ligne, les membres s'élargissant avec les embranchements, les pieds et les mains au Havre et dans les autres villes d'arrivée. Et ça passait, ça passait, mécanique, triomphal, allant à l'avenir avec une rectitude mathématique, dans l'ignorance volontaire de ce qui restait de l'homme, aux deux bords, caché et toujours vivace, l'éternelle passion et l'éternel crime. »
Oui Emile Zola...

 

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